Découvrez quelques gestes simples pour réussir à tous les coups un gratin dauphinois onctueuxgourmand et léger.

Je préviens tout de suite les lecteurs dont la grand-mère ou la tante, ou le cousin du facteur sont Dauphinois ou serait un jour passés par Grenoble, et prétendraient connaitre la vraie recette du Gratin Dauphinois : il n’y a pas de vraie recette du Gratin Dauphinois !

demandez à 100 dauphinois leur recette du gratin… vous aurez 100 recettes différentes

Joël Robuchon

La version courte


Ce que l’on cherche dans un bon gratin dauphinois c’est que les rondelles de pommes de terre soient fondantes mais restent entières, qu’elles aient du goût, et qu’elles soient nappées d’un liquide onctueux et léger.

Pour cela, quelques règles simples

  • Utiliser des pommes de terre à chair fondante (Monalisa par exemple)
  • Les tailler en tranches très fines (pour une cuisson plus homogène)
  • Ne pas les rincer après le tranchage (pour conserver l’amidon qui va lier la sauce)
  • les précuire 10 mn dans du lait avec un démarrage à froid (pour un démarrage uniforme de la cuisson et une bonne répartition de l’amidon dans le liquide)
  • Utiliser le même poids de laitage que de pommes de terre, avec 2/3 de lait + 1/3 de crème (parce que le lait contient plus de protéines que la crème, et que les protéines sont importantes pour la couleur et le goût).
  • Assaisonner généreusement (parce que les pommes de terre c’est plutôt fade) 
  • Faire cuire longtemps (au moins 1h30 pour un grand plat et 45 mn pour des portions individuelles) et à température modérée (150°C), pour laisser le temps aux pommes de terre de cuire uniformément.

A la fin de cet article je vous propose une recette pour un gratin dauphinois onctueux, gourmand et léger.

Que nous dit la science ?


Le choix de la pomme de terre

Comme nous l’avons vu dans un article précédent sur les pommes de terre, il existe 3 catégories de pommes de terre, qui se différencient par leur teneur en amidon :

  • les pommes de terre « à chair ferme » : elles contiennent peu d’amidon. Du coup, leurs cellules résistent au gonflement des grains d’amidon lors de la cuisson et les pommes de terre restent fermes. Mais il n’y a pas ou peu d’amylose ou d’amylopectine libérés dans le liquide de cuisson pour créer une sauce onctueuse. Les variétés les plus connues sont la Charlotte, l’Amandine ou la Belle de Fontenay.
  • les pommes de terre « à chair fondante » : elles contiennent plus d’amidon. Du coup, certaines de leurs cellules éclatent lors de la cuisson ce qui rend les pommes de terre plus tendres. Cet éclatement libère de l’amylose et de l’amylopectine qui vont lier le liquide de cuisson. Les plus connues sont l’Agata, la Monalisa, la Samba.
  • enfin, les pommes de terre « à chair farineuse » : elles contiennent beaucoup d’amidon dont le gonflement fait éclater les cellules. Les pommes de terre se désagrègent à la cuisson. La Bintje est la plus connue, et à réserver pour les purées ou les frites.

Que se passe-t-il pendant la cuisson ?

Ce que l’on cherche pour notre gratin dauphinois, c’est que les rondelles de pommes de terre deviennent tendres, qu’elles aient du goût, et que le liquide devienne crémeux.

la tendreté : la cuisson dans le liquide chaud (lait + crème) va provoquer le gonflement des grains d’amidon et la destruction de certaines cellules des pommes de terre qui vont rendre les rondelles plus tendres.

représentation schématique de l'empesage de l'amidon
représentation schématique de l’empesage de l’amidon

l’onctuosité : l’éclatement de certains grains d’amidon va libérer de l’amylose et de l’amylopectine qui vont former un réseau et piéger le liquide pour former une sauce onctueuse.

C’est la même chose que pour le Risotto, la béchamel, ou le chocolat chaud épais par exemple.

le goût : les équipes de Cook’s Illustrated ont fait cuire des cubes de pomme de terre de chacune des 3 catégories dans du liquide coloré.

Elles ont constaté que plus la pomme de terre contient d’amidon, plus le liquide est absorbé. En effet, les cellules qui contiennent beaucoup d’amidon éclatent, et le liquide de cuisson peut pénétrer à l’intérieur.

Représentation des grains d’amidon dans les cellules de différentes catégories de pommes de terre,
et leur conséquence sur l’absorption du liquide de cuisson

Et si le liquide est parfumé (avec de l’ail, du thym, du sel), il va apporter du goût au cœur des pommes de terre !

L’importance de la précuisson :

Il est très important de faire précuire les rondelles de pomme de terre dans une casserole pour 2 raisons :

  • pour bien répartir l’amidon de la surface des rondelles dans tout le liquide.
  • pour qu’elles commencent la gélatinisation de leur amidon en même temps avant de les mettre au four. Sinon, les rondelles situées sur les côtés et dessus-dessous du plat à gratin commenceront à gélatiniser et absorberont plus de liquide que celles situées au centre du gratin.

Dans un précédent article sur les temps de cuisson, nous avons vu que le temps nécessaire à la chaleur pour diffuser dans un aliment est proportionnel au carré de la distance à parcourir (loi de diffusion thermique).

Dans un plat de 6 cm de profondeur, la chaleur mettra 9 fois plus de temps pour atteindre le centre du plat que la couche située à 1 cm du haut ou du bas.

Et comme nous l’avons vu dans un article précédent sur les pommes de terre sautées, un démarrage à froid va également renforcer le réseau de pectine et les rondelles auront une meilleure tenue à la cuisson.

Le lait est plus important que la crème

Contrairement à ce qu’on pourrait penser à priori, c’est le lait plutôt que la crème qui donne la couleur et le goût du gratin dauphinois.

Comme nous l’avons déjà vu dans de nombreux articles (tapez « Maillard » dans le moteur de recherche), les protéines sont essentielles pour le développement du goût et de la couleur des aliments cuits (pensez à la croûte du pain, à la viande grillée, au café torréfié).

Les acides aminés (qui proviennent des protéines) s’associent aux sucres (qui proviennent du lait et de l’amidon des pommes de terre) pour donner de nombreux composés responsables de la couleur et du goût.

Or le lait contient 39% plus de protéines que la crème à poids égal, et 57% à volume égal !

En plus, si on met trop de crème, non seulement on n’aura pas assez de protéines, mais en plus on aura trop de matière grasse.

Et cette matière grasse risque de trancher et de former une couche de gras à la surface du gratin.

Quelles implications en cuisine ?


Faire infuser les saveurs dans le lait

Souvenez-vous que le lait va pénétrer dans les rondelles de pommes de terre. Si vous faites infuser des saveurs dans le lait (ail, thym, muscade, etc), ces saveurs vont pénétrer à l’intérieur des pommes de terre et donner plus de goût au gratin.

C’est un peu plus long mais c’est réellement meilleur !

C’est aussi pour cette raison qu’il vaut mieux bien saler le lait plutôt que de saler les pommes de terre dans le plat.

Une cuisson longue et douce :

Souvenez-vous que les pommes de terre sont des mauvais conducteurs d’énergie (voir l’article sur les frites à la casserole).

Il faut donc une cuisson longue et douce pour laisser le temps au liquide chaud de pénétrer entre et dans les grains d’amidon.

Si la température est trop forte, le liquide va s’évaporer avant que les rondelles au centre du gratin ne soient fondantes.

Pas trop de crème :

la bonne proportion est le même poids de produits laitiers que de pommes de terre, avec 2/3 de lait et 1/3 de crème.

Si vous n’avez pas de crème, vous pouvez la remplacer par du beurre, qui contient 82% de matière grasse. On peut remplacer 100g de crème à 30% de matière grasse par 37g de beurre. Et on complète le poids avec du lait.

Un plat pas trop profond, ou un gratin pas trop épais

Souvenez-vous que le temps de diffusion de la chaleur est proportionnel au carré de la distance qu’elle doit parcourir.

Donc utilisez un plat qui vous permet d’étaler les rondelles et le lait sur 3 cm maximum. Au-delà, vous risquez d’avoir un centre pas assez cuit, et un fond et une surface trop cuits.

Si besoin, utilisez 2 plats ou des plats individuels.

La recette


La recette que je vous propose est celle que j’ai mise au point après plusieurs essais. Elle est adaptée d’une recette publiée par Valérie dans son excellent blog C’est Ma Fournée

Ingrédients pour 4 personnes

  • 800g de pommes de terre à chair fondante (Agata, Monalisa, Samba, Manon, Ostara, Sirtema) une fois épluchées, soit 900g avec la peau. Ça correspond à 6 pommes de terre de taille moyenne ou 4 grosses.
  • 530g de lait, soit 520 ml
  • 270g de crème liquide ou 30 cl. Si vous n’avez pas de crème, vous pouvez remplacer par 100g de beurre + 170ml de lait.
  • Eléments de votre choix pour parfumer le liquide : ail, muscade, thym
  • Sel.

Préparation

  • Préchauffez le four à 150°C chaleur statique, avec la grille à mi-hauteur.
  • Epluchez les pommes de terre, lavez-les, et coupez-les en tranches très fines à la mandoline ou au robot.
  • Mettez les rondelles dans une grande casserole ou un faitout sans les laver (on veut garder l’amidon !).
  • Pour une version plus gourmande : faites bouillir le mélange de lait et de crème (ou de beurre). Coupez le feu et mettez-y 2 gousses d’ail écrasées et/ou 1 branche de thym. Laissez infuser 1h. Filtrez et versez sur les rondelles de pomme de terre
  • Pour une version plus rapide : versez le lait et la crème sur les rondelles de pomme de terre. Salez généreusement.
  • Ajoutez les éléments pour parfumer : 2 gousses d’ail écrasées, une branche de thym, de la noix de muscade.
  • Salez généreusement.
  • Portez le mélange à ébullition, puis baissez le feu et laissez mijoter à feu doux pendant 10 mn. Remuez de temps en temps pour que les rondelles n’attachent pas.
  • Pendant ce temps, beurrez bien votre plat à gratin.
  • Goutez et rectifiez l’assaisonnement.
  • Versez les rondelles de pomme de terre et le liquide de cuisson dans le plat à gratin. Il est important que toutes les rondelles soient recouvertes de liquide. Au besoin, ajoutez du lait.
  • Enfournez dans le four à 150°C pour environ 1h30, ou 45mn pour des plats individuels. Le gratin est prêt quand la surface a une belle coloration dorée et que la pointe d’un couteau s’enfonce sans résistance dans le cœur du gratin.
  • Servez et régalez-vous ! Ce gratin se réchauffe très bien au micro-ondes ou au four à 160°C avec une feuille de papier d’aluminium sur le dessus pour éviter qu’il ne se dessèche.

Les références

Les documents suivants m’ont aidé à préparer cet article. Que leurs auteurs en soient remerciés.

  1. Sohla El Waylly; Serious Eats : The Best Classic Potato Gratin: Creamy on the Inside and Crispy All Around.
  2. C’est ma fournée : le véritable gratin dauphinois
  3. Cook’s Illustrated; The Science of Good Cooking; p. 233