Les soupes de légumes caramélisés sont extraordinaires !
Théoriquement, il est impossible de « caraméliser » des légumes. Il faut atteindre des températures tellement hautes et cuire pendant tellement longtemps qu’ils perdent toute leur eau et deviennent caoutchouteux. Dans le meilleur des cas, seul l’extérieur est « caramélisé ». Alors comment peut-on faire une soupe de légumes entièrement « caramélisés » ?
La version courte
Pour « caraméliser » des légumes, il faut les cuire dans un autocuiseur (cocotte-minute) et ajouter du bicarbonate de sodium.
Dans ces conditions, les légumes peuvent caraméliser rapidement, à l’extérieur comme à l’intérieur.
Il suffit ensuite de les mixer pour obtenir une délicieuse soupe de légumes avec un bon goût de grillé.
A la fin de cet article, je vous propose la célèbre recette de la soupe de carottes caramélisées de Nathan Myhrvold.
Que nous dit la science ?
Les réactions de Maillard
Quand on parle de caramélisation ou de brunissement en cuisine, il s’agit le plus souvent des réactions de Maillard. En fait, il faut parler de réactions de brunissement. Ces réactions sont un ensemble de réactions chimiques complexes qui interviennent lors de la cuisson d’un aliment.
Les sucres (glucides) et les protéines présents dans l’aliment réagissent chimiquement et forment des composés aromatiques.
Ce sont ces composés qui donnent le goût caractéristique des viandes grillées, du beurre noisette, de la croûte du pain, des biscuits, du café torréfié, etc.
Selon la nature des protéines présentes dans l’aliment, ces réactions provoquent la création d’un grand nombre de composés aromatiques différents, d’où la complexité des goûts obtenus.
Il faut de l’eau, mais pas trop
Pour que ces réactions se produisent, il faut de l’eau pour solubiliser les acides aminés (protéines) et les glucides (sucres) et favoriser leur rencontre.
Mais s’il y a trop d’eau, les molécules seront trop diluées et auront plus de mal à interagir.
Il faut que ça chauffe !
Les réactions se déroulent quelle que soit la température. Mais elles sont très lentes à des températures inférieures à 100°C, et on ne ressent pas leurs effets. Des légumes bouillis à l’eau (donc à une température inférieure ou égale à 100°C) n’ont pas vraiment le goût de grillé, non ?
Plus la température augmente, plus les réactions de brunissement seront rapides, et plus il y aura de nouveaux composés aromatiques développés. En moyenne, la vitesse de réaction est doublée quand la température augmente de 10°C.
Le problème, c’est que l’eau bout à 100°C dans les conditions normales de pression. Et tant qu’il reste de l’eau à évaporer à la surface des aliments, la température reste à 100°C.
C’est pour cela qu’il est recommandé de sécher les viandes avant de les faire griller, ou les pommes de terre avant de les mettre dans la friteuse. Sinon, la température en surface restera à 100°C tant que toute l’eau ne sera pas évaporée. La viande sera bouillie en surface, et les frites absorberont plus d’huile.
Comment cuire nos légumes à haute température ?
En utilisant un autocuiseur(cocotte-minute) dans lequel la température peut atteindre 120°C. Et par rapport aux 100°C, c’est 20°C supérieur. Donc les réactions de Maillard seront 4 fois plus rapides, donc 4 fois plus de composés aromatiques produits pour le même temps de cuisson !
Augmenter le pH pour encore plus de réactions de brunissement
Les réactions de brunissement sont accélérées à pH basique (alcalin). Pour les puristes, l’explication tient à la réactivité de l’amine libre sous sa forme basique, et à la valeur de son point isoélectrique dans le cas d’un peptide.
Donc si on ajoute du bicarbonate de sodium (bicarbonate alimentaire), on accélère considérablement les réactions de brunissement
La recette
La recette que je vous propose a été développée et publiée par Nathan Myhrvold, fondateur de The Cooking Lab, co-auteur de Modernist Cuisine: The Art and Science of Cooking et de Modernist Cuisine at Home.
Pour accéder à la recette pas-à-pas et à de magnifiques photos, cliquez sur le lien
Il s’agit d’une soupe de carottes caramélisées. Mais les mêmes principes s’appliquent pour n’importe quel légume (potiron, chou-fleur, champignons, poireaux, etc.).
Les ingrédients: pour 6 bols de 250 ml
- 500g de carottes pelées
- 110g de beurre
- 30 ml d’eau
- 5g de sel
- 2.5g de bicarbonate de sodium (1 cc rase)
- 700 ml de liquide (bouillon, jus de carottes, lait, lait de coco, etc.) à incorporer à la purée de légumes après la cuisson.
Si vous envisagez de servir la soupe immédiatement, faites chauffer le liquide pendant que les légumes cuisent.
Les étapes :
- Pelez les carottes. Coupez-les en tronçons de ~5cm si elles sont longues. Puis coupez-les en quartiers dans le sens de la longueur (en 2 par le milieu puis chaque moitié en 2). Enlevez le cœur si vos carottes ne sont pas « nouvelles ». Le cœur peut apporter de l’amertume.
- Mettez votre autocuiseur (cocotte-minute) à chauffer sur feu moyen et faites y fondre les 110g de beurre.
- Ajoutez les carottes et remuez bien, pour que le beurre enveloppe bien les carottes. Le fait d’ajouter du beurre favorisera la cuisson des carottes (le beurre conduit mieux la chaleur que l’eau ou que l’air), les empêchera d’attacher au fond de la cocotte, et apportera du goût à la soupe.
- Dissoudre les 5g de sel et les 2.5g de bicarbonate dans les 30 ml d’eau. Versez sur les carottes et remuez. En plus de l’eau qui sera rendue par les carottes, les 30 ml ajoutés sont la bonne quantité pour assurer une bonne solubilisation des protéines et des glucides, et sans trop les diluer, pour permettre les réactions de Maillard.
- Fermez la cocotte. Quand la soupape chuchote, baissez le feu et laissez cuire pendant 20 minutes.
- Éteignez le feu, et laissez la pression retomber avant d’ouvrir le couvercle de la cocotte. Les carottes seront « caramélisées », pas seulement à l’extérieur, mais également à l’intérieur.
- Mixez les carottes soit avec un mixeur plongeant directement dans la cocotte, soit dans votre blender. Pour une texture encore plus onctueuse, vous pouvez passer la préparation mixée dans un chinois ou une passoire fine.
- Ajoutez les 700 ml de liquide chaud à la purée. Vous adapterez la quantité à la consistance que vous souhaitez pour votre soupe.
Les références
Les documents suivants m’ont aidé à rédiger cet article. Que leurs auteurs en soient remerciés
- Les réactions de Maillard sur Wikipedia; wikipedia
- images réaction de Maillard image 1
- images réaction de Maillard image 2
- Les secrets du poulet rôti – CLIC
- Pr. Marc Henry, Prof. des Universités, Strasbourg; impact de l’eau dans les réactions de Maillard CLIC
- Vidéo d’une présentation de Nathan Myhrvold CLIC
Bonjour, oui en Belgique, les endives s’appellent chicons tandis que « endive » désigne la scarole frisée. J’ai aussi réalisé la recette avec du céleri rave et ai apprécié le résultat.
Bonjour, avec des chicons et oignons (20′) puis une seconde cuisson avec bouillon de boeuf et ajout d’un gros bouquet de persil (6′) en respectant les mêmes proportions que pour la soupe de carottes caramélisées, le résultat est appréciable. Des nouvelles du bouillon de volaille à l’autocuiseur? Merci
Bonjour,
Merci pour votre retour. Si j’ai bien compris votre recette, vous faites d’abord cuire les chicons (endives ?) et les oignons à la cocotte comme les carottes, et vous allongez ensuite au bouillon de boeuf. C’est bien ça ? Il faudra que j’essaye.
Concernant le bouillon de volaille à l’autocuiseur, il me faudra encore un peu de temps pour rassembler la bibliographie et rédiger l’article. En attendant, ma méthode est la suivante : peser les carcasses ou les os de poulet et les mettre dans la cocotte. Ajouter entre 1 et 2L d’eau par kg (selon la force désirée pour le bouillon). Ajouter les aromatiques émincés (oignons, carotte, gingembre). Faire chauffer à feu fort jusqu’au sifflement de la soupape. Réduire le feu pour avoir un tout petit filet de vapeur à travers la soupape, et faire cuire pendant 1h30. Eteindre et attendre le refroidissement (ou refroidir sous l’eau). Il ne faut pas enlever la soupape sinon ça crée une ébullition dans la cocotte et ça trouble le bouillon. Passer à travers un chinois. Mettre au réfrigérateur pour figer la graisse. Enlever la graisse et congeler le bouillon.
Cordialement,
Bonjour, si toutefois vous possédiez d’autres recettes ou divers liens concernant l’utilisation de la cocotte-minute, je serai preneur. Félicitations pour votre site.
Bonjour,
Merci pour votre message et vos gentils mots. Je suis ravi que vous appréciez les articles.
J’ai en effet un article en préparation sur la réalisation d’un bouillon de volaille avec une cocotte-minute. En bref, le principe de la cocotte-minute est d’avoir une pression élevée à l’intérieur, ce qui permet d’avoir une température de l’eau et de la vapeur supérieure à 100°C (autour de 120°C). C’est idéal pour cuire rapidement les légumes et pour préparer des bouillons. Mais c’est à proscrire pour la cuisson des viandes car la température élevée rend la viande dure.
Cordialement,
Bonjour,
Merci pour le complément d’explications.
Je me doute bien qu’il y a une ou des raisons lors de la mise en oeuvre des quantités d’ingrédients d’une recette.
Mais, je ne peux pas consommer autant de beurre.
Comme je suis gourmande, j’ai quand même voulu en profiter :
d’où la coupe drastique du couteau à beurre sur la plaquette 🙂
Bon dimanche.
Bonjour,
Merci pour votre réponse. Et merci d’avoir partagé votre expérience qui permettra à d’autres personnes de profiter du bon goût de cette soupe caramélisée même avec une quantité réduite de matière grasse.
Cordialement,
Bonsoir,
Je confirme : les carottes cuites de cette façon viennent d’une autre planète 🙂
C’est super bon.
Pour ceux que la quantité de beurre fait hyperventiler, n’hésitez pas à réduire :
c’est parfait avec 80 grammes de beurre pour 1kg500 de carottes.
Effectivement, on est loin des 330 grammes de beurre mais c’était largement suffisant pour caraméliser et donner un goût délicieux.
Merci pour le partage.
A bientôt.
Bonjour,
Merci pour votre message. Je suis ravi que cette recette vous ait plu. En général, l’essayer c’est l’adopter 😋
Concernant la quantité de beurre elle est effectivement importante. Mais elle est nécessaire pour (1) assurer une bonne conduction de la chaleur et donc des réactions de brunissement plus fortes et (2) une bonne émulsion lors du mixage.
Je vous conseille de faire un essai avec les quantités initiales et de décider quelle version vous préférez. Et n’hésitez pas à nous le dire !
Cordialement,
Bravo pour votre site qui met en avant la réflexion. C’est relativement rare et très intéressant à lire.
Bonjour. Merci beaucoup pour vos gentils mots. Ce sont des encouragements précieux pour continuer ! Cordialement,
Merci ++++++++. Venant de toi, ça a beaucoup de valeur !
Mais quel travail de dingue !!! J'adore ton blog ! 😉