Cuire une viande s’apparente souvent au jeu de la roulette russe. Qui n’a pas connu l’angoisse de la cuisson d’un rôti au four, d’une entrecôte au barbecue, ou simplement d’un steak à la poêle ?

Car ce n’est qu’une fois en bouche que l’on saura si la viande est bien cuite, tendre et juteuse !Les restaurants de viande maîtrisent (pas toujours) la cuisson de leurs viandes parce qu’ils s’approvisionnent avec les mêmes morceaux (origine, âge, taille, poids) et ont mis au point des méthodes standardisées.

A la maison, quelques connaissances simples permettent de comprendre ce qui rend la viande tendre et juteuse, et d’adopter le bon mode de cuisson.

Et pour une mise en pratique en ce week-end de Pâques, je vous propose une recette de gigot d’agneau à basse température : tendreté et jutosité garanties !

La version courte


Quand on cuit une viande, on cherche 2 choses : lui donner du goût en la grillant, et l’attendrir (en dissolvant le collagène qui la rend dure).

Pour le goût, il faut une température élevée (> 150°C) pour que les protéines et les sucres se transforment en composés bruns qui ont du goût (les réactions de Maillard). C’est ce qui se passe pour les grillades ou les rôtis.

Pour la tendreté, c’est un peu plus complexe: le collagène se dissout à partir de 50°C, mais ça prend du temps. A une température supérieure, il se dissout plus rapidement, mais la viande durcit et sèche (à partir de 70°C).

Que faire ? Trouver le bon équilibre entre la température et le temps de cuisson, et adapter le mode de cuisson au morceau.

  • Pour les viandes tendres, qui contiennent peu de collagène (filet, entrecôte, bavette) : on peut les cuire rapidement (grillade, rôti). Quelques techniques permettent de maîtriser ces cuissons. Elles seront présentées dans de prochains articles.
  • Pour les viandes qui contiennent plus de collagène (gigot, épaule, gite, joues) : il faut cuire longtemps et à basse température !

Que nous dit la science ?


La viande

Un morceau de viande est composé en moyenne de 75% d’eau, 20% de protéines, et 5% de gras et d’autres matières.

Bien sûr, cela dépend de l’animal (sa race, son âge, son alimentation) et du morceau.

structure d'un muscle animal
structure d’un muscle animal

Pour comprendre la transformation de la viande lors de la cuisson, il faut s’intéresser aux protéines.

Il y a 3 groupes de protéines dans la viande :

  • les protéines musculaires (les myofibrilles) : ce sont des filaments très fins qui assurent les mouvements des muscles (actine et myosine). C’est dans ces filaments que l’on trouve la plus grande partie de l’eau contenue dans les muscles (80%). Ces filaments sont regroupés en faisceaux qui représentent le « fil » de la viande.
  • les protéines sanguines (albumine, globuline, myoglobine, hémoglobine). Elles sont responsables de la couleur de la viande.
  • les tissus conjonctifs (collagène) : le collagène est l’armature interne du muscle. Le collagène est un réseau de protéines enroulées entre elles. Ce réseau entoure chaque fibre musculaire, chaque faisceau de fibre, et chaque muscle. C’est grâce au collagène que les muscles peuvent se contracter et se détendre lors des mouvements.

Plus le muscle bouge du vivant de l’animal, plus il contient du collagène : c’est pour cela que les muscles locomoteurs (gigot, épaule, joue, etc.) contiennent plus de collagène que le filet ou l’entrecôte par exemple.

Et c’est aussi pour cela que la viande d’animaux âgés contient plus de collagène que la viande d’animaux jeunes.

La chaleur modifie la structure des protéines

Quand on cuit de la viande, l’énergie apportée par la chaleur va transformer les protéines.

Dans un premier temps, les protéines se déroulent (dénaturation), et s’associent entre elles. Elles piègent l’eau et forment un gel. Pensez au blanc d’œuf qui reste souple.

dénaturation et coagulation des protéines
dénaturation et coagulation des protéines

Si on poursuit la cuisson, les molécules vont s’associer plus fortement entre elles (coagulation) et expulser l’eau. C’est ce qui arrive au bord d’un œuf au plat qui, s’il est trop cuit, se transforme en une masse caoutchouteuse.

La « cuisson » du collagène

Sous l’effet de la chaleur, les liaisons chimiques qui retiennent les molécules de collagène ensemble se défont (solubilisation) en brins de gélatine. La viande devient plus facile à mastiquer.

solubilisation du collagène
solubilisation du collagène

Les brins de gélatine s’associent entre eux et forment un gel qui retient le jus de la viande (pensez au bouillon du pot-au-feu qui forme un gel quand il refroidit : il s’agit des brins de gélatine qui emprisonnent le liquide du bouillon).

Mais il y a un hic : la transformation du collagène en gélatine, qui commence à partir de 50°C, est très lente pour une température inférieure à 60 °C. Elle est beaucoup plus rapide à partir de 80 °C.

Mais à cette température, le collagène se contracte (pensez à un morceau de lard ou à la peau du poulet rôti, qui contiennent beaucoup de collagène, et qui se contractent dans la poêle ou au four), et le jus de la viande est expulsé vers le plat de cuisson. La viande devient sèche !

La chaleur diffuse lentement dans la viande

Comme nous l’avons vu dans un article précédent, la chaleur diffuse lentement au cœur d’un morceau de viande.

Il faut environ 11h pour que la température au cœur d’un gigot de 16 cm d’épaisseur soit la même que celle du four.

Dans un four à 60°C, tout le collagène sera transformé quand la température à cœur sera à 60°C, et la viande sera au maximum de la tendreté : on peut la manger à la cuillère. C’est le cas du gigot de 11h, des pot-au-feu, ragoûts, bourguignons, blanquettes, navarins, etc.

Mais si on veut une pièce de viande qui « se tienne » un peu (comme pour notre gigot de Pâques que l’on veut servir en tranche), il ne faut pas cuire aussi longtemps ! C’est l’objectif de la cuisson à basse température.

Le rôle du gras

Une viande bien persillée (avec de la graisse à l’intérieur du muscle) est plus facile à préparer qu’une viande maigre – notamment au grill ou à la poêle.

En plus du bon goût qu’il apporte, le gras de la viande « contrôle » l’augmentation de température à l’intérieur de la viande lorsqu’il fond. Et il limite la perte de liquide : la viande reste plus juteuse et plus tendre.

Une question d’équilibre !

La cuisson de la viande (ou plutôt devrait-on parler « des cuissons des viandes »), c’est finalement la recherche du meilleur équilibre entre la dissolution maximale du collagène (pour attendrir la viande) et la coagulation minimale des protéines (pour conserver une bonne texture, une belle couleur, et de la jutosité)

températures de cuisson de la viande
températures de cuisson de la viande

Quelles implications en cuisine ?


Souvenez-vous que la cuisson d’un morceau de viande a deux objectifs : du goût et de la tendreté.

Toutes les viandes ne se cuisent pas de la même façon

Les viandes provenant de muscles qui bougent beaucoup (épaule, jarret, joues, etc.) contiennent beaucoup de collagène. Elles devront donc être cuites longtemps pour dissoudre le collagène (défaire les brins)

Pour les cuissons braisées (ragoûts, pot-au-feu, blanquette, bourguignon, navarins, osso bucco) : la température de cuisson est élevée (petit bouillon, vers 80°C). Tout le collagène est bien dissout. Mais toutes les protéines musculaires sont coagulées (au dessus de 70°C).

Néanmoins, les viandes braisées nous paraissent tendres. C’est parce que les fibres se séparent bien (tout le collagène est dissout), et qu’elles sont gorgées du liquide de cuisson (bouillon), ce qui contribue à la sensation de jutosité et de tendreté.

Avec une cuisson à basse température (max. 60°C à cœur), on cherche également à dissoudre le collagène, mais sans que les autres protéines ne coagulent, pour garder de la jutosité, de la texture (il faut couper et mâcher), et une couleur saignante à la viande. 

A la différence de la cuisson des viandes braisées, la viande cuite à basse température cuit « à sec ». C’est pour cela que la température de cuisson doit être plus basse que pour les braisés (max. 60°C à cœur, à adapter selon les viandes). La cuisson se fait généralement au four pour mieux maîtriser la température de cuisson

Grillade et Rôtissage: mode de cuisson adapté aux viandes qui contiennent peu de collagène (filet, entrecôte, etc.). Nous verrons dans d’autres articles que l’on peut obtenir des résultats « sûrs » en appliquant quelques techniques simples pour les grillades et les rôtissages.

Une autre façon d’attendrir les viandes contenant peu de collagène, c’est par une action mécanique : pensez aux steaks hachés, aux steaks tartares, au carpaccio.

Enfin, pour les poissons qui contiennent peu de collagène, la cuisson à l’acide permet également de dissoudre le collagène (poisson à la Tahitienne cuit au jus de citron).

La cuisson longue à basse température

Cette technique de cuisson permet de trouver l’équilibre entre la dissolution maximale du collagène (pour attendrir la viande) et la coagulation minimale des protéines (pour conserver une bonne texture, une belle couleur, et de la jutosité)

Pour le goût (réactions de Maillard), on saisira la viande à la poêle, au grill, au four, ou même au chalumeau avant de la servir.

Avec la cuisson à basse température, on favorise également l’action de 2 enzymes qui participent à l’attendrissement de la viande : les calpaïnes et les cathepsines.

Ces enzymes sont très actives jusqu’à 50°C, puis sont dénaturées par la chaleur. Leur action est de « découper » les fibres musculaires, et notamment le collagène. 

Pour des pièces de viande contenant du collagène, l’action de ces enzymes ne sera pas la principale, et il faudra quand même monter la température aux alentours de 60°C pour dissoudre le collagène.

Mais le temps que la température atteigne les 50°C fatidiques, ces enzymes auront contribué à l’attendrissement de la viande.

Pendant le repos, la viande pompe le jus et continue à cuire

Quel que soit le mode de cuisson, il est important de toujours laisser la viande reposer (se détendre) après la cuisson, sur la planche à découper, couverte avec un papier d’aluminium.

Cela permet au jus qui a été poussé hors des fibres musculaires (suite à leur contraction sous l’effet de la chaleur) d’y rentrer à nouveau.

Sinon, tout le jus va se retrouver dans le plat de service, et tous nos efforts pour garder la jutosité de la viande seront réduits à néant. On recommande de laisser la viande reposer le tiers de son temps de cuisson.

absorption des jus de la viande pendant le repos
absorption des jus de la viande pendant le repos

Pas d’inquiétude pour la chaleur de la viande ! Comme la viande conduit mal la chaleur, peu de chaleur « s’échappera » du morceau. C’est même l’inverse qui se produit : la viande continue à cuire même hors du four

Si vous cuisinez avec un thermomètre (ce que je vous recommande, notamment pour la cuisson des viandes), il faut sortir la viande du four quand elle atteint environ 5° de moins que la température souhaitée :

  • à 46° pour une viande de bœuf saignante (qui arrivera à 51°C après le repos),
  • ou à 49°C pour une viande à point (qui arrivera à 54°C après le repos).

La recette


La recette que je vous propose a été développée par Kenji Lopez-Alt de Serious Eats.

Elle est différente des recettes de « gigot de 11h » qui donnent une viande confite, qui se mange à la cuillère. Ici, la viande reste saignante, garde de la tenue, et peut être découpée en tranches.

Ingrédients

Pour la marinade

  • 2 CS d’huile d’olive
  • 3 gousses d’ail émincées (à peu près 1 CS)
  • 1 échalote émincée
  • 6 filets d’anchois émincés
  • 2 cc de romarin émincé
  • 1 CS de zeste de citron
  • ½ cc de piment d’Espelette, 2 CS de sel, ½ cc de poivre du moulin.

Vous pouvez utiliser n’importe quelle marinade pour cette recette. L’important c’est qu’elle apporte du goût à la viande. Un simple mélange d’huile (pour améliorer la transmission de la chaleur du four à la viande), d’ail, d’herbes, de sel et de poivre fera des merveilles !

La Viande

1 gigot d’agneau, ou une épaule d’agneau (moins chère).

La recette a été développée avec un gigot d’agneau désossé et ouvert au milieu (« en papillon »). Cela permet de répartir la moitié de la marinade à l’intérieur, pour une meilleure diffusion des arômes.

Mais vous pouvez aussi utiliser une pièce entière avec l’os. Il vous suffira de répartir la marinade sur l’extérieur seulement.

Les étapes

1) Préchauffez votre four avec la grille au milieu

  • à 135°C (thermostat entre 4 et 5) en chaleur statique.
  • à 100°C (thermostat entre 3 et 4) en chaleur tournante

Pour plus de détails, voir l’article sur le fonctionnement du four.

2) pendant ce temps, préparez la marinade

  • Faites chauffer l’huile d’olive dans une petite poêle à feu moyen. Quand l’huile commence à frémir, ajoutez l’ail, l’échalote, les anchois, le romarin, le zeste de citron, et le piment.
  • Faites chauffer en remuant de temps en temps, jusqu’à ce que l’ail et les échalotes soient tendres, environ 5 minutes.
  • Transférez dans un récipient. Salez, poivrez et mélangez bien à la fourchette.

3) répartissez la moitié de la marinade à l’intérieur du gigot ouvert en 2 (ouverture en « papillon »).

Roulez le gigot et ficelez-le. Répartir le reste de la préparation sur l’extérieur du gigot.

4) mettez le gigot au four

  • Placez le sur la grille, avec la lèchefrite en dessous pour récupérer le jus (il y en aura peu, mais un peu quand même).
  • Laissez cuire pendant 3 heures environ. L’idéal est de vérifier avec un thermomètre de cuisson, et de sortir le gigot quand la température à cœur atteint 52°C (saignant) ou 57°C (à point).
  • Laissez reposer pendant 40 minutes

5) Finition

  • Augmentez la température du four à 260°C. A la fin des 40 minutes de repos, remettez le gigot au four et laissez le rôtir jusqu’à ce que l’extérieur soit bien doré et croustillant, environ 15 minutes.
  • Sortez le gigot du four et laissez le reposer pendant 5 minutes.

Si vous préférez (et que vous avez une poêle assez grande), vous pouvez aussi saisir le gigot sur toutes ses faces à la poêle dans de l’huile très chaude.

6) Découpe et service.

  • Transférez le gigot sur votre planche à découper. Ôtez les ficelles.
  • Découpez des tranches assez fines de moins de 1 cm. Régalez-vous !

Les références

Les documents suivants m’ont aidé à préparer cet article. Que leurs auteurs en soient remerciés;

  1. Hervé This; « Casseroles et Éprouvettes« ; pp.34-35; 114-115.
  2. L. Picgirard; Viandes Prod. Carnés Vol. 27 (6).
  3. Cook’s Illustrated; « The Science of Good Cooking« ; pp.60-64.
  4. J. Kenji Lopez-Alt; Serious Eats: Slow-Roasted Boneless Leg of Lamb Recipe