L’ail est un condiment très utilisé en cuisine. Cru ou cuit, il apporte une touche unique aux aliments. Mais son utilisation est complexe et demande un peu de maîtrise.

Sous peine de se retrouver avec un goût d’ail qui l’emporte sur tous les autres, et une préparation « qui arrache ».

La version courte


L’ail n’a pas d’odeur ! C’est seulement quand on le découpe (ou qu’on le hache) que se forment les molécules responsables de son goût et de son odeur. 

Et plus on le coupe fin, plus il aura du gout. Il faut donc suivre scrupuleusement les indications de la recette.

Pour l’ail cru, on peut atténuer sa force en le cuisant avant de le découper (au micro-ondes, dans de l’eau bouillante, ou au four), ou en le laissant tremper dans du jus de citron ou du vinaigre si la recette en prévoit.

Pour l’ail cuit il faut au contraire le faire chauffer doucement au début, pour laisser le temps aux composés aromatiques de se développer. Sinon, le plat sera fade.

A la fin de cet article, je vous propose des recettes qui mettent ces informations en pratique : un aioli en 2 minutes, une superbe recette de caviar d’aubergine, et la recette de la tarte à l’ail caramélisé de Ottolenghi

Que nous dit la science ?


L’ail n’a pas d’odeur !

Une tête d’ail ou une gousse d’ail n’ont pas d’odeur (si vous en avez une dans la cuisine, allez vérifier !).

C’est la destruction des cellules de l’ail lors de sa préparation (découpe, broyage, pressage, cuisson) qui produit son goût et son odeur.

A l’origine, c’est un moyen de défense de la plante contre ses prédateurs.

Quand on détruit les cellules de l’ail (par découpe, pressage, broyage, mastication, ou cuisson), les molécules soufrées qu’elles contiennent (l’alliine et l’isoalliine) entrent en contact avec une enzyme (l’alliinase).

schéma de cellules d'ail
quand on détruit les cellules (découpe, hachage), les molécules soufrées (en bleu) entrent en contact avec l’enzyme (en orange) pour former l’allicine (en blanc), responsable du goût et de l’odeur de l’ail

Cela entraîne la formation d’une nouvelle molécule – l’allicine -, très odorante, au goût amer, et qui est responsable de la saveur typique de l’ail cru. Puis l’allicine se transforme rapidement en autres composés volatiles (des thiosulfinates) qui sont responsables du goût de l’ail.

Plus on détruit les cellules de l’ail (le pressage détruit plus que la découpe au couteau), plus il y aura production d’allicine, et plus le goût d’ail sera fort.

Et plus on attend, plus il y a de production de composés aromatiques. Il faut donc éviter de découper ou hacher l’ail trop en avance si on l’utilise cru !

L’ail dans l’haleine

Parmi les composés volatiles issus de l’allicine, l’AMS (Allyl Methyl Sulfide) est détruit dans l’organisme plus lentement que les autres composés.

Il passe donc dans la circulation générale et les organes. C’est ce qui permet les actions de l’ail sur l’organisme (antiseptique et anti-oxydant notamment)

Le problème, c’est que l’AMS est alors excrété par la transpiration, la respiration, et les urines, et ceci jusqu’à 24h après le repas !

Se laver les dents après avoir mangé de l’ail cru est bon pour l’hygiène dentaire … mais n’empêchera pas l’haleine d’ail, car l’AMS vient des poumons !

Ceux qui ont eu l’occasion de visiter la Corée savent de quoi je parle, car les Coréens sont des grands amateurs d’ail ! Et on peut sentir des effluves d’ail partout dans les lieux publics (métro, bureau, etc.)

Le germe, un concentré de saveurs en puissance

Le germe d’une gousse d’ail contient plus d’enzymes et de composés soufrés que le reste de la gousse. Il donnera donc plus d’allicine, et c’est pour cela qu’on dit que le germe rend l’ail cru indigeste.

Dans la nature, l’accumulation dans le germe permet à l’ail – qui prépare sa pousse – de se protéger contre les agressions extérieures (bactéries, virus, champignons, etc.).

Ôter le germe de la gousse diminue donc la « force » de l’ail : c’est utile quand on utilise l’ail cru, mais dommage s’il est cuit.

La chaleur réduit la force de l’ail

L’enzyme responsable de la formation des composés aromatiques de l’ail (l’alliinase) est détruite par la chaleur.

effet de la température sur l'alliinase.
l’activité de l’alliinase est maximale à 30°C. Au delà, l’enzyme est détruite par la chaleur; source (1)

On peut utiliser cette sensibilité de l’enzyme à la chaleur à notre avantage :

  • Quand on utilise l’ail cuit : on veut un maximum de saveurs. Il faut donc faire chauffer l’ail doucement au début, pour laisser le temps aux réactions d’intervenir. C’est la même chose pour les oignons comme nous l’avons vu dans un article précédent.
  • En revanche pour une utilisation crue : on veut atténuer le goût de l’ail. On peut soit le faire cuire quelques instants au micro-ondes (3 mn), soit le blanchir dans plusieurs bains d’eau, pour détruire le plus possible de cette enzyme, et ainsi diminuer la force de l’ail cru dans la préparation.

L’acidité réduit la force de l’ail

L’alliinase est détruite quand le pH est acide (vinaigre, jus de citron)

effet de l'acidité sur l'alliinase

C’est pour cela que chaque fois qu’une recette à base d’ail contient du jus de citron (aïoli, sauce césar, houmous), il est recommandé de laisser l’ail tremper dans le jus de citron une 10 aine de minutes, pour détruire le plus possible les enzymes, et atténuer la force de l’ail dans la préparation.

Quelles implications en cuisine ?


Adaptez la découpe à l’usage

Si la recette vous recommande d’émincer l’ail, ou de le presser, ou de le gratter, il y a une raison ! Ce n’est pas juste une figure de style du rédacteur !

différentes techniques pour découper de l'ail.
différentes techniques pour découper de l’ail.
Le nombre de flammes rouges symbolise la puissance du goût d’ail; source (3)

Et plus il y aura de « jus » qui sortira de votre ail, plus vous aurez détruit les cellules. C’est bien pour une préparation cuite … mais risqué pour une utilisation crue !

Pour les préparations pour lesquelles vous n’avez pas envie de sentir des morceaux d’ail sous la dent (aïoli, caviar d’aubergine, sauce césar), vous serez obligé de hacher finement l’ail ou de le presser.

Il faudra alors ruser avec la pré-cuisson des gousses ou le jus de citron pour maîtriser le gout !

Attendez le dernier moment pour l’ail cru !

Plus on attend après la destruction des cellules (découpe, hachage, pressage), plus il y a de production de composés aromatiques.

La preuve: les équipes de « The American Test Kitchen » ont préparé 2 échantillons de sauce César (source 4)

  • Pour le premier, ils ont gratté l’ail et l’ont immédiatement mélangé aux autres ingrédients de la sauce (jaunes d’œufs, anchois, jus de citron, sauce Worcestershire, huile).
  • Pour le second, ils ont laissé l’ail gratté à l’air pendant 10 mn avant de le mélanger aux autres ingrédients de la sauce.

Les testeurs ont unanimement trouvé le 2° échantillon trop fort en ail, avec un goût acre. L’autre échantillon ont été trouvés doux.

Moralité : pour les préparations crues, préparez l’ail au dernier moment pour limiter le développement de son goût et de son piquant. Ce n’est pas nécessaire pour les préparations cuites, car les composés soufrés vont se transformer au cours de la cuisson.

Profitez du jus de citron !

A chaque fois qu’une recette prévoit l’utilisation d’ail haché et de jus de citron ou de vinaigre, profitez-en pour laisser tremper l’ail haché une 10aine de minutes dans le jus de citron ou le vinaigre.

L’acidité détruira une partie des enzymes, et limitera la production des composés responsables du goût et de l’odeur de l’ail cru.

Quelques recettes

Impossible de donner une recette en particulier. L’utilisation de l’ail – cru ou cuit – serait à lui seul le thème d’un livre de cuisine. Il en existe d’ailleurs énormément !

J’ai donc choisi de partager des liens vers quelques recettes qui mettent en pratique les informations partagées dans cet article. A vous de choisir celles qui vous tentent !

La tarte à l’ail caramélisé d’Ottolenghi

Je n’ai pas encore eu le temps de tester cette recette. Mais comme elle est sur le blog de Valérie (c’est ma fournée), c’est forcément bon !

En tous cas, tous les gestes pour maîtriser la force de l’ail sont là ! Et c’est surement pour ça que les retours sont positifs, et que personne ne s’est plaint du goût trop prononcé de l’ail (trois têtes quand même pour une tarte !) :

  • Pas de découpe des gousses (donc pas de destruction des cellules et de création des molécules de goût)
  • Passage aux micro-ondes pour faciliter l’épluchage (et du coup première destruction des enzymes par la chaleur)
  • Ébouillantage des gousses (deuxième destruction des enzymes par la chaleur)
  • Mijotage dans de l’eau vinaigrée (on continue la destruction des enzymes à la chaleur et à l’acide).

Avec tout ça, pas de risque que le goût d’ail soit trop prononcé !

Caviar d’aubergine

Une excellente recette de caviar d’aubergine publiée sur le site de Valérie (C’est ma Fournée) et que j’ai adoptée depuis longtemps.

Elle recommande de faire rôtir les gousses d’ail entières au four enveloppées dans du papier d’aluminium. La chaleur détruit les enzymes, et la purée d’ail incorporée dans le caviar d’aubergine est juste parfaite !

Un aïoli en 2 minutes !

Bon ce n’est pas vraiment un aïoli dans les règles de l’art (le véritable aïoli est une émulsion d’ail et d’huile d’olive montée au mortier).

Ici, on parle plutôt d’une mayonnaise à l’ail, parfaite pour tremper des morceaux de légumes à l’apéritif !

Ingrédients pour 250 ml de sauce (1 bol)

  • 1 oeuf entier
  • 4 gousses d’ail émincées finement (ou pressées si vous ne voulez pas sentir les petits morceaux d’ail dans la sauce)
  • 2 cc de jus de citron (1/2 citron)
  • 125 ml d’huile neutre (tournesol, …)
  • 125 ml d’huile d’olive
  • Sel et poivre

Les étapes

  • Émincez finement ou pressez les gousses d’ail (pour ne pas sentir les petits morceaux dans la sauce), et laissez les tremper dans le jus de citron pendant 10 mn
  • Mélangez l’œuf, le jus de citron et l’ail dans un récipient.
  • Versez doucement l’huile neutre en battant, exactement comme pour une mayonnaise. Si vous avez un mixeur plongeant, c’est encore plus simple : versez l’œuf, le jus de citron et l’ail dans le bol de votre mixeur. Versez l’huile neutre. Plongez votre mixeur dans le fond du bol et mettez en marche. Faites progressivement remonter le mixeur dans le bol jusqu’à ce que l’émulsion se forme.
  • Transférez la préparation dans un récipient. Ajoutez progressivement l’huile d’olive en fouettant au fouet manuel (il ne faut pas utiliser un mixeur avec de l’huile d’olive, car ça peut la rendre amère – je prépare un article sur le sujet).

Les références

Les documents suivants m’ont aidé à préparer cet article. Que leurs auteurs en soient remerciés

  1. African Journal of Biotechnology Vol. 8 (7), pp. 1337-1342.
  2. Compound Interest; The Chemistry of Garlic
  3. Daniel Gritzer; the best way to mince garlic; Serious Eats
  4. Cooks Illustrated; The Science of Good Cooking; pp 278-281.
  5. J. Kenji Lopez-Alt; The Two-Minute Aioli Recipe; Serious Eats