Réussir une fondue aux fromages, c’est obtenir un mélange homogène entre le fromage et le vin, sans gros blocs de fromage au fond, et avec des fils (mais pas trop).

Découvrez quelques gestes simples et quelques conseils pour réussir vos fondues à tous les coups !

La version courte


La fonte des fromages est un phénomène physique et chimique complexe. Ce qui explique pourquoi on a parfois une masse de fromage au fond du caquelon.

Heureusement, la science nous permet de comprendre et il existe quelques gestes simples pour y arriver à tous les coups !

  • Utilisez de fromages vieux et jeunes : des fromage « vieux » pour le goût et pour faciliter le mélange entre le vin et le gras du fromage (émulsion) et des fromages plus jeunes pour les fils.
  • Râpez le fromage pour qu’il fonde mieux et plus rapidement
  • Utilisez un vin acide et très fruité, pour faciliter la fonte du fromage.
  • Ajoutez un peu de jus de citron, juste au cas où le vin ne soit pas assez fruité
  • Utilisez un peu de farine ou de fécule, pour mettre toutes les chances de votre côté. L’amidon limite les mouvements des gouttelettes de gras et des protéines, et évite qu’elles ne se regroupent.
  • Faites d’abord chauffer le vin avant d’ajouter le fromage petit à petit.
  • Faites fondre le fromage à feu doux : c’est plus long, mais ça limite le risque que le fromage ne prenne en masse.
  • Mélangez doucement, pour faciliter le mélange et éviter que le fromage ne prenne en masse.

Il n’existe pas vraiment de recette pour la fondue (qu’elle soit Suisse, Savoyarde, Jurassienne, etc.).

A la fin de cet article, je vous propose des proportions et un mode opératoire pour réussir votre fondue à tous les coups !

Que nous dit la science ?

Les fromages

D’un point de vue physico-chimique, le fromage est un mélange stable (une émulsion) d’eau (le lactosérum) et de matières grasses, enfermé dans un solide (le réseau de protéines).

On peut imaginer les fromages comme une éponge : les protéines (micelles de caséines) forment sa structure, et les espaces sont remplis de matière grasse et de lactosérum (eau et sels minéraux).

représentation schématique de la structure du fromage
représentation schématique de la structure du fromage

Les protéines sont des chaînes enroulées sur elles mêmes qui forment des petites pelotes (sous-micelles) soudées entre-elles par du calcium pour former des grosses pelotes (micelles).

représentation schématique d'une micelle de caséine; d'après Florian Ronez
représentation schématique d’une micelle de caséine; d’après Florian Ronez

Dans le lait, ces pelotes restent séparées parce qu’elles sont chargées négativement et se repoussent comme des aimants.

Quand on fabrique du fromage, ces pelotes se rapprochent et forment un réseau en 3 dimensions qui emprisonne les gouttes d’eau et de matière grasse (pensez à une éponge).

Pour plus de détails sur la fabrication des fromages, vous pouvez relire un article précédent sur la fabrication de ricotta maison.

La fonte du fromage

Faire fondre du fromage, ce n’est pas comme faire fondre de la glace !

Pour la glace, il suffit d’apporter de l’énergie (de la chaleur) pour que les molécules d’eau s’agitent et se séparent : la glace devient liquide.

Faire fondre du fromage, c’est un peu plus complexe. Il faut détacher les protéines et s’assurer que l’eau (du fromage et du vin), les matières grasses et les protéines forment un mélange homogène.

C’est là que la science est utile !

Le réseau de protéines :

En fonction du mode de fabrication du fromage et de son temps de maturation, les protéines sont plus ou moins liées entre elles et il contient plus ou moins d’eau. Cela a une conséquence sur les capacités des fromages à fondre et à couler.

capacité des fromages à fondre en fonction de leur procédé de fabrication

D’autres fromages ont des procédés de fabrication particuliers qui les rendent plus ou moins aptes à fondre à la chaleur

  • la Féta ne fond pas car elle est « cuite » dans la saumure
  • le Halloumi ne fond pas parce qu’il est cuit à la chaleur
  • la Vache qui Rit et les fromages à hamburgers fondent très bien car on ajoute de l’eau et des sels de fonte pendant leur production.

Les fromages à pâte molle (Camembert, etc) et à pâte pressée (Tome, Raclette, Reblochon, etc.) contiennent beaucoup d’eau.

Du coup, les micelles de caséine sont suffisamment éloignées les unes des autres et se séparent facilement à la chaleur. 

C’est pour cela que le fromage fond facilement quand on prépare une raclette, un Camembert rôti, un aligot ou une tartiflette.

la Raclette, le Camembert, la Tome et le Reblochon fondent et deviennent liquides

Défaire le calcium

Pour les fromages à pâte ferme que l’on utilise dans la fondue (Emmental, Gruyère, etc.), il faut défaire le calcium qui « colle » les pelotes de protéines entre-elles.

Sinon, les protéines se contractent et se déroulent (le fromage fond) mais ne se séparent pas : le fromage ne coule pas. Pensez aux tuiles de parmesan ou au gruyère râpé sur un gratin quoi fondent mais ne coulent pas.

le parmesan et le gruyère (au lait pasteurisé) fondent mais ne coulent pas à la chaleur

Dans les fondues au fromage, c’est grâce au vin que le fromage se liquéfie : 

  • le vin fruité apporte des sels dont la partie négative (les anions) captent (complexent) le calcium (positif). Son pH acide facilite les échanges.
  • Le calcium est remplacé par d’autres ions (notamment du sodium) et les pelotes de caséines ne sont plus soudées les unes aux autres.
représentation schématique de la séparation des caséines par des sels de sodium
représentation schématique de la séparation des caséines par des sels de sodium

Une fois détachées, les protéines peuvent se déplacer dans le liquide et le fromage devient liquide.

Et quand on mélange l’ensemble, les protéines libres viennent entourer les gouttelettes de matière grasse et évitent qu’elles ne se regroupent pour former une couche d’huile : le mélange est homogène (une émulsion).

En plus de ces sels, le vin apporte aussi de l’éthanol qui aide à disperser la matière grasse dans le liquide. C’est le rôle que joue la petite quantité de kirsch ou d’eau de vie recommandée dans certaines recettes.

Les fils du fromage

Dans les fromages jeunes, les protéines sont entières. Quand on les fait fondre, elles forment des longs fils. Mais elles se déplacent difficilement dans le liquide.

représentation schématique de la protéolyse lors de la maturation des fromages.
représentation schématique de la protéolyse lors de la maturation des fromages.

Dans les fromages âgés, les protéines sont coupées par des enzymes (peptidases) pendant la maturation. C’est ce phénomène qui est à l’origine de l’odeur et du goût des fromages âgés.

Quand on fait fondre des fromages âgés, les petits brins de protéines peuvent plus facilement se déplacer dans le liquide, et venir entourer les gouttelettes de matière grasse pour stabiliser le mélange.

Quelles implications en cuisine ?


Mélangez des fromages âgés et jeunes

Au-delà des questions de goût, il est intéressant d’utiliser plusieurs sortes de fromages dans la fondue

  • des fromages âgés, dont les protéines découpées se dispersent mieux dans la solution, et aident le mélange entre les matières grasses et le vin.
  • des fromages jeunes dont les protéines sont entières et font des fils.

On peut même rajouter un peu de fromage à tartiner (type Vache qui rit) pour faciliter l’émulsion et la formation de fils.

Utilisez un vin blanc fruité

Préférez des vins blancs acides et très fruités, qui contiennent beaucoup de sels qui détachent le calcium et libèrent les pelotes de protéines.

C’est le cas des vins de Savoie (Crépy Blanc, Chignin, Roussette, Abymes, Apremont), des vins d’Alsace (Riesling, Pinot Gris, Muscat, Sylvaner, Gewurztraminer) ou du Jura (Arbois). Un Gros Plan Nantais fera également l’affaire.

Ajoutez du jus de citron

En ajoutant du jus de citron, vous ajoutez des ions (citrates) qui détachent le calcium

C’est une assurance supplémentaire au cas où votre vin blanc n’en contienne pas assez. Et compte-tenu des quantités (1 CS pour 500 ml de vin), il ne se sentira pas !

Râpez le fromage

Si le fromage est râpé, les sels du vin (et du jus de citron) peuvent agir directement et rapidement pour casser les ponts de calcium et libérer les pelotes de protéines.

Faites d’abord chauffer le vin

Il est très important de d’abord faire chauffer le vin blanc, puis d’ajouter progressivement le fromage pour le faire fondre.

Sinon, vous ne pourrez pas mélanger efficacement et le fromage risque de prendre en masse, et l’huile de surnager.

Chauffez à feu doux

Une fois que le vin blanc commence à bouillir, baissez le feu avant d’ajouter le fromage en petites quantités.

Ca évite que le fromage ne se contracte sous l’effet de la chaleur et ne prenne en masse avant qu’il ait eu le temps de fondre.

Résistez à la tentation d’augmenter le feu si le fromage forme une masse ! C’est surement parce que le vin n’est pas assez fruité (pour défaire les ponts de calcium). Ajoutez du jus de citron et tout rentrera dans l’ordre !

Remuez longtemps et doucement

Il faut mélanger continuellement et doucement pour permettre aux protéines de se répartir dans le vin blanc et de venir entourer les gouttelettes de matière grasse.

C’est pour cela qu’on recommande de mélanger « en formant des 8 », pour faciliter la répartition des protéines dans le liquide.

Si vous remuez trop fort, vous risquez de permettre aux protéines de s’associer entre elles plutôt que d’enrouler les gouttelettes de matière grasse.

La fécule ou la farine : une sécurité supplémentaire

N’en déplaise aux puristes, l’ajout d’un peu de farine ou de fécule de maïs (Maizena) dans le fromage râpé vous donnera une sécurité supplémentaire.

Les grains d’amidon vont gonfler dans le vin chaud, et ralentir les mouvements des gouttelettes de matière grasse et des protéines, limitant ainsi le risque qu’elles ne se rassemblent et ne détruisent l’émulsion.

Pour plus de détails, voir un précédent article sur l’amidon

La recette


Il n’y a pas vraiment de recette pour la fondue (savoyarde, suisse, jurassienne) mais plutôt des proportions et un mode de préparation

Proportions

  • Le fromage : comptez entre 150 g et 300 g de fromage par convive (sans la croûte), en fonction de leur appétit. Prévoyez la moitié de fromages jeunes et la moitié de fromages affinés.
  • Le pain : 1 baguette (250 g) pour 3 personnes
  • Le vin : prévoyez un volume de vin de 50% du poids du fromage. Si vous avez 1 kg de fromage (pour 4 personnes), prévoyez 500 ml de vin. Si vous en mettez moins, la fondue sera épaisse. Si vous en mettez plus, elle sera plus liquide. Commencez avec 50% et ajoutez-en un peu si nécessaire.
  • Le jus de citron : 1 CS pour 500 ml de vin. Ca représente le jus d’un ½ citron.
  • La fécule : si vous en utilisez (ce que je vous recommande), prévoyez 2 CS pour 1 kg de fromage.

Préparation

  • Râpez les fromages. Saupoudrez la fécule sur le fromage râpé et mélangez.
  • Coupez le pain en morceaux de la taille d’une bouchée
  • Frottez le caquelon avec une gousse d’ail.
  • Versez le vin blanc et le jus de citron dans le caquelon et faites chauffer jusqu’à ébullition.

Baissez le feu. Introduisez le fromage en petites quantités (une poignée à la fois) et remuez avec une spatule ou une cuillère en bois jusqu’à ce qu’il soit fondu.

  • Amenez le caquelon à table et maintenez la température grâce au brûleur à alcool. Si la température baisse trop et que le mélange durcit, re-faites chauffer sur la cuisinière à feux doux.

Et bien sûr, un gage à celle ou celui qui fait tomber son morceau de pain !

Les références

Les documents suivants m’ont aidé à rédiger cet article. Que leurs auteurs en soient remerciés.

  1. Roustel S., Hannon J. 2021. Cheese: hot culinary uses of cheese. Handbook of molecular gastronomy, 107-113.
  2. Gritzer D. Serious Eats: How to Make Foolproof Cheese Fondue at Home.
  3. Cheese in the City : comment le lait se transforme-t-il en fromage ?
  4. Cheese Science Tool Kit: Melt and Stretch