On sait tous que le sel est indispensable au bon goût des aliments. Il rehausse les goûts en stimulant les papilles responsables de la perception du goût salé.
Ce que l’on sait moins, c’est que le sel – quand il est ajouté au bon moment avant la cuisson – permet aussi d’avoir des aliments plus moelleux !
La version courte
Si on sale les aliments suffisamment longtemps avant la cuisson, ils emprisonnent plus d’eau. Et donc ils en perdent moins à la cuisson, ce qui les rend plus moelleux.
Pour une viande grillée plus moelleuse, salez-la au-moins 45 minutes avant de la faire cuire. Sinon, immédiatement avant de la faire cuire, voire même après. Mais jamais quelques minutes avant !
Pour une omelette moelleuse, salez-les œufs au moins 15 minutes avant de les faire cuire. Mais jamais pendant la cuisson !
Pour des blancs en neige, une pincée de sel (ou une cc de vinaigre) aidera le travail du fouet.
Ne salez pas les steaks hachés avant de les faire cuire ! Sinon ils vont prendre la texture d’une saucisse ! Il vaut mieux les saler après la cuisson.
Que nous dit la science ?
La dénaturation et la coagulation des protéines
Les protéines sont des longues chaines d’acides aminés repliées sur elles-mêmes en 3 dimensions comme des pelotes de laine. Ces « pelotes » tiennent en place grâce à des forces électriques. Imaginez les protéines comme un long collier d’aimants repliés en paquet.
Quand on cuit les protéines (à la chaleur de la poêle ou du four, ou avec l’acide du jus de citron ou du vinaigre), les forces électriques sont rompues, et les pelotes se déroulent : c’est la dénaturation.
Les protéines se lient entre elles pour former une sorte de filet qui emprisonne l’eau : c’est la coagulation.
C’est la même chose qui se produit quand on bat des blancs d’œufs en neige. L’action mécanique du fouet va dérouler les protéines et leur permettre de s’attacher entre-elles pour emprisonner de l’air et de l’eau.
Plus la température augmente, plus les protéines se déroulent et se lient fortement les une aux autres. Du coup, l’eau est chassée, comme quand on presse une éponge, puis s’évapore. C’est ce qui explique que les aliments durcissent et sèchent.
C’est ce qui arrive à la surface des viandes grillées, dans la croûte du pain, dans les jaunes des œufs durs ou sur les bords croustillants des œufs au plat par exemple.
En cuisine, on recherche ce dessèchement des aliments mais en surface seulement. On chauffe fort la surface pour développer le bon goût de grillé (réactions de Maillard).
Mais dans le même temps, on veut un intérieur le plus moelleux possible (c’est-à-dire qui garde de l’eau). Et c’est là que le sel va nous aider !
Le sel déroule les protéines avant la cuisson
Le sel se dissout dans l’eau. C’est-à-dire que les molécules d’eau (H2O) vont détruire les cristaux de sel en attirant électriquement les molécules du sel de table (Na+, Cl-).
Pour ceux que ça intéresse, ci-joint le lien vers une vidéo intéressante qui visualise ce qui se passe lors de la dissolution du sel dans l’eau.
Cette dissolution va entraîner une perturbation des charges électriques des protéines, et elles vont se déplier avant la cuisson. Les protéines déroulées vont ainsi pouvoir s’associer entre-elles et former un filet en 3 dimensions qui va emprisonner les molécules d’eau.
En salant les aliments avant la cuisson, on va donc augmenter la quantité d’eau qui sera emprisonnée par les protéines. Et plus on aura d’eau emprisonnée, plus il en restera dans l’aliment après la cuisson, et plus l’aliment plus moelleux. C’est simple, non ?
Pensez à un œuf dur : alors que le jaune est dur, le blanc reste souple (s’il n’est pas trop cuit), parce qu’il contient plus d’eau que le jaune.
Les preuves
Le salage de œufs pour une omelette
Si vous salez des œufs battus et que vous attendez 15 minutes, vous constaterez qu’ils ont une couleur plus foncée que des œufs battus mais pas salés.
Cela vient du fait que comme les protéines se sont déroulées et ont formé un réseau, elles laissent moins bien passer la lumière. Donc la couleur est plus foncée (en fait, elle est moins claire …, tout le monde suit ?)
C’est exactement le même phénomène qui se produit avec le blanc d’œuf.
- Quand il est cru, les protéines sont repliées sur elles-mêmes, et la lumière peut facilement passer à travers : le blanc d’œuf cru est translucide.
- Mais dès qu’on le cuit, ou qu’on le bat pour monter des œufs en neige, les protéines se déroulent et s’associent en un réseau qui empêche la lumière de passer. D’où la couleur blanche du blanc d’œuf cuit ou des blancs en neige.
Dans une étude comparée, Kenji Lopez a montré que l’ajout de sel au moins 15 minutes avant de cuire une omelette la rendait plus moelleuse et tendre. En revanche, l’omelette salée à la fin de la cuisson était dure et coulait dans l’assiette !
Moralité : salez votre omelette avant de la cuire et attendez au moins 15 minutes (profitez-en pour couper le pain, mettre la table, etc.). Ça laissera le temps aux protéines de se dérouler et d’emprisonner plus d’eau.
Le salage de la viande
Le salage de la viande avant cuisson est encore plus spectaculaire.
Dans un premier temps (au bout de 2 à 3 minutes), le sel va « aspirer » le jus de la viande par le phénomène d’osmose. C’est la même chose qui se passe quand on sale des légumes pour qu’ils perdent leur eau (voir les articles sur le gazpacho ou sur le taboulé).
Le jus va dissoudre le sel, le sel va dérouler les protéines en surface, puis le jus salé va être aspiré par la viande (voir les articles sur le bain d’eau salée ou sur les marinades).
Finalement (au bout de 40 minutes environ), la surface de la viande sera sèche, et tout le sel aura pénétré à l’intérieur de la viande. Et plus on attend, plus le sel va continuer son voyage à l’intérieur de la viande (voir l’article sur les marinades).
Moralité: soit vous salez la viande juste avant de la cuire, soit après que tout le sel ait été absorbé et que la surface de la viande soit sèche.
Mais jamais entre les 2. Sinon, le jus sera perdu pour tout le monde !
Pour ceux que ça intéresse, ci-joint un lien vers une vidéo qui montre en accéléré les mouvements du jus qui sort de la viande et qui y retourne. C’est spectaculaire !
Quelles implications en cuisine ?
Salez les viandes au moins 45 minutes à l’avance
Pour une viande salée à cœur, moelleuse à l’intérieur, et grillée en surface, il faut la saler au moins 45 minutes avant de la faire cuire, pour laisser le temps au sel et au jus de faire leur « aller-retour ».
Le top du top, c’est de la saler le plus longtemps possible à l’avance (la veille par exemple), et de la laisser au réfrigérateur sur une grille.
Ainsi, le sel aura le temps de faire son petit voyage. Et l’air sec du réfrigérateur aura le temps de bien sécher la surface de la viande.
Et qui dit surface sèche dit développement idéal du bon goût de grillé !
Si vous n’avez pas le temps, salez juste avant la cuisson, voire après. Mais jamais quelques minutes avant ! Car à ce moment là, le jus sera sorti et il sera perdu car soit vous l’aurez épongé, soit il sera évaporé par la chaleur !
Quelle quantité de sel ?
Soyez généreux ! Il faut couvrir la viande de sel des 2 côtés, un peu comme des flocons de neige sur une route.
Et pour une répartition efficace du sel, tenez votre main à 20 cm de la viande. C’est ce que font les pros, et ce n’est pas que pour la frime !
Salez les omelettes au moins 15 minutes à l’avance
Pour les omelettes, c’est au moins 15 minutes avant. Et surtout pas pendant la cuisson !
Quelle quantité ? celle que vous avez l’habitude d’utiliser. La question n’est pas d’utiliser plus de sel, mais au bon moment.
Pour les blancs en neige : une pincée de sel ou une cc de vinaigre
Vous ne le saviez peut-être pas, mais c’est pour leur action sur les protéines du blanc d’œuf qu’on recommande d’ajouter une pincée de sel ou une cc de vinaigre (blanc, pour la couleur) dans des blancs avant de les monter en neige.
Le sel ou le vinaigre vont dérouler les protéines, et faciliter le travail du fouet. Maintenant, vous savez !
Ne salez pas les steaks hachés !
Ce qu’on aime dans les steaks hachés, ce sont les petits morceaux de viande grillés qui se détachent quand on mord dedans.
Si vous salez vos steaks hachés quelques minutes avant de les faire cuire (ou que vous hachez vous même votre viande et que vous salez avant de former les steaks), il va se passer la même chose que pour la viande non hachée : le jus va sortir et sera perdu pour tout le monde !
En plus, les protéines vont se lier les unes aux autres et vous perdrez le côté « petits morceaux de viande grillés » qui font le charme des steaks hachés.
Vous aurez en fait une sorte de « saucisse de viande« . D’ailleurs, le mot « saucisse » vient de « sel ». C’est tout dire !
Les références
Les documents suivants m’ont aidé à préparer cet article. Que leurs auteurs en soient remerciés !
- Kenji Lopez; Serious Eats; The Food Lab’s American Omelettes (and Why You Should Salt Your Eggs in Advance)
- Kenji Lopez; Serious Eats; The Food Lab: More Tips For Perfect Steaks
- AmazingRibs; Dry Brining
Bonjour, un article passionnant comme toujours !
Je reviens sur l’utilisation du sel pour les blancs d’œufs. En effet, Hervé This avait démontré l’inutilité du sel juste avant de les battre. Sans doute car le sel n’a pas le temps de dérouler correctement les protéine ? Je voulais savoir ce que vous en pensiez.
Bonjour,
Merci pour vos gentils mots. Je suis ravi que les articles du blog vous intéressent et vous soient utiles.
Concernant l’ajout de sel pour monter les blancs en neige, la théorie est que le sel neutraliserait les charges négatives qui entourent les protéines du blanc. Cela favoriserait leur déroulement et la création d’un réseau autour des bulles d’air, pour une mousse plus volumineuse et solide. Mais ce déroulement « chimique » a peu de pertinence par rapport au déroulement « mécanique » par les fils du fouet.
Aucune expérience par Hervé This ou d’autres auteurs n’a par ailleurs démontré un effet significatif de l’ajout de sel ou d’acide sur le volume ou la tenue de blancs d’oeufs montés en neige. Même si de nombreux auteurs et professeurs de cuisine continuent à véhiculer cette idée fausse.
Cordialement,
Une réponse complète et argumenté comme toujours, merci beaucoup !
J’étais passée à côté de cet article passionnant !!! Merci beaucoup pour ces explications détaillées et pédagogiques. On attend toujours votre livre 😉
Bonjour,
Merci pour votre message et vos gentils mots. Je suis content que cet article sur le salage vous ait plu. Je m’efforce de mettre des liens vers les articles plus anciens, qui auraient pu échapper à certain(e)s. Je réfléchis à l’idée de publier un livre. Mais c’est un gros projet !
Cordialement,
Bonjour. Merci pour vos encouragements !
Bonjour, je viens de lire votre article et c’est très intéressant mais j’ ai une question et c’est urgent. Je reçois demain samedi soir je dois cuire 2 épaules d’agneau au four. Est-ce que je les sale la veille et je les laisse au frigo pour la nuit jusqu’à l’heure de la cuisson et je la sors et je la laisse au moins 15 mn à la température de la pièce où j’ai l’option de l’induire d’une pommade de beurre sel poivre et romarin et la laisser macérer la nuit et est-ce que c’est vrai que ce n’est pas bon de la piquer avec de l’ail quelle est la meilleure façon il y a tellement de recettes aidez-moi merci j’ai l’intention de le mettre dans les sacs à cuire la dinde pour qu’elle soit tendre et est-ce que 4h à 270 degré F* c’est bon merci beaucoup
Bonjour. Merci pour votre message et vos questions auxquelles je vais essayer de répondre :
* salage la veille et une nuit au frigo : l’objectif est que le sel ait le temps de pénétrer dans la viande et de modifier la structure des protéines autour de la surface, pour que la viande conserve plus de jus.
* pommade beurre / sel / poivre / romarin : le sel sera pris dans la matière grasse du beurre et ne pourra pas bien pénétrer. Je ne recommande pas. Vou pouvez enduire vos épaules avant d’enfourner.
* piquer avec de l’aïl : ce n’est pas gênant pour une cuisson longue comme celle que vous prévoyez. L’intérêt est d’amener le goût de l’ail à l’intérieur de la pièce de viande. Pour une cuisson rapide, le piquage peut provoquer la perte de liquide.
* température et durée de cuisson : voir l’article sur la cuisson du gigot qui recommande 3h à 130°C (270 °F). Le mieux est de vérifier la température à coeur avec un thermomètre : 52°C (125°F) pour une cuisson saignante, 57°C (134°F) pour une cuisson à point. N’oubliez pas de laisser reposer la viande au moins 30 mn sous un papier d’alu avant de la découper. Et vous pouvez la passer quelques minutes sous le grill pour un extérieur croustillant.
Bonne préparation ! N’hésitez pas à partager le résultat.
Merci ! Au passage, votre blog est très instructif. Bravo pour votre travail !
Bonjour. Pas besoin d'attendre. Vous pouvez mettre la viande à cuire directement en sortant du frigo. Plus la viande est froide, plus lentement la chaleur se propagera à l'intérieur, pour une cuisson saignante. Le plus important est de bien sécher la surface avec du papier absorbant pour accélérer les réactions de "grillage".
Bonjour,
Une fois sortie du frigo faut-il attendre un petit moment avant de la cuire ou peut-on mettre à cuire la viande directement?
Merci!
Merci pour votre retour et vos compliments. Je suis ravi que cet article vous ait plu.
Super article, vraiment complet! C'est rare! Merci!
Bonjour. Merci pour votre retour. Si vous avez un lien pour mieux connaitre et comprendre cette technique de salage sous vide, je suis preneur ! Cordialement.
Bonjour,
Bon j'ai essayer les deux techniques et finalement je préfère saler sous vide.
Etant donné que je n'ai que du gros sel à la maison, il est plus facilement dissous puis diffusé dans la viande.
Il suffit de la sortir au moins 4 bonnes heures de l'emballage pour la faire sécher au frigo.
Encore aprouvé ce w-e avec une pièce de rumsteck de 1.2kg, fumé au bbq à 80°C pendant 2h30 environ, puis saisie après cuisson.
Bonjour. Merci pour les explications et les photos. A mon avis il ne devrait pas y avoir de différence majeure entre les 2 méthodes au niveau du goût ou de la cuisson. Mais il faudrait comparer pour être sûr. Il me semble que le salage et séchage sur la grille au frigo est plus rapide car les 2 étapes se déroulent en même temps. Si vous comparez les 2 méthodes un jour, je serai intéressé par vos résultats.
Bonjour,
oui effectivement ils utilisent cette technique pour faire de la charcuterie aussi, avec un salage entre 3 et 6%, par contre ce n'est pas sur leur site que j'ai vu le salage sous-vide pour la viande a griller, mais sur la page facebook.
Pour que la viande sèche, je la sors à l'avance de la pochette pour qu'elle ai le temps de sécher dans le frigo.
En gros ça fait un peu comme une saumure, sauf que le % de sel est plus faible à 1% du poids de la pièce.
Je ne sais pas si il y a une réelle différence entre le faire sous-vide ou sur une grille, c'est pour quoi j'étais venu vers vous.
Voici un rosbif salé sous-vide à 1% puis laisser sécher un après midi dans le frigo.
https://nsa40.casimages.com/img/2020/08/07/200807020809988357.jpg
Après une cuisson en saisie inversée.
https://nsa40.casimages.com/img/2020/08/07/200807020810582315.jpg
Cordialement
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Bonjour,
D'après ce que j'ai pu comprendre sur le site de French Smoker, le salage sous vide qu'ils recommandent est plutôt pour des viandes salées, de type Gravlax (il y a un article sur le sujet sur mon blog).
Je pense que la méthode de salage sur la grille est plus adapté pour les grillades, car elle permet de sécher la viande en surface, pour une meilleure efficacité de la chaleur des braises pour les réactions de Maillard.
Bien sûr, il faudrait tester les 2 méthodes pour les comparer.
Cordialement,
Bonjour,
alors je me demande la différence entre effectuer le salage 48h à l'avance sous-vide ou sur une grille, et si il y en a une, laquelle de ces deux méthodes est la meilleure.
Actuellement je l'effectue sous-vide comme vu sur le groupe Facebook French Smoker et j'en suis satisfait.
D'ailleurs il est souvent fait référence de saler entre 0.5% et 1.5% du poids de la pièce à saler.
Merci pour votre réponse.
Bien cordialement
David
Bonjour. Je ne suis pas sûr de comprendre votre question. Pouvez-vous la préciser svp afin que je puisse vous répondre au mieux. Cordialement.
Merci pour cet article très complet.
Il est difficile de faire changer les mentalités et votre article et d’un très grand aide.
Je pratiquais déjà le salage a l’avance, mais je le faisais sous vide car j’avais vu cette manière de faire sur un groupe Facebook de BBQ.
Mais ca fait a deux reprises que je vois de saler et de mettre sur grille.
Seriez-vous en mesure de me dire qu’elle méthode et la mieux, ou la différence entre les deux, et pourquoi?
Encore merci.
Au plaisir de vous lire.